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L’offensive militaire en Syrie pourra-t-elle résoudre la crise que traverse Erdoğan?

Traduit par Cem Taylan

Rédigé par Jalal Haddad

De nombreux analystes soulignent qu’une offensive militaire dans le nord de la Syrie permettra substantiellement à Erdoğan de surmonter la crise qu’il traverse actuellement. Nous allons tenter d’y voir plus clair.

Bonjour à tous. Ça y’est, le président Erdoğan a officiellement déclaré le début de l’offensive militaire dans le nord de la Syrie,  baptisé « Source de Paix ». Il a dit vouloir transformer ce qu’il considère être un « couloir du terrorisme » en « couloir de paix ». L’armée turque a déclaré lutter contre le PKK/YPG mais également contre Daesh, tout en expliquant vouloir se donner les moyens de protéger l’intégrité territoriale de la Syrie.

Une guerre prévisible pour des raisons politiciennes

Même si cette offensive était attendue, elle s’est déroulée plus vite que prévue. Ce qui veut dire que les préparatifs annoncés étaient bien réels. Il ne manquait plus que le feu vert de Trump qui finalement arriva. Comme le disent certains portes-paroles du gouvernement, ceci est une guerre et nous sommes donc en guerre. Outre son aspect militaire ou stratégique, je vais plutôt m’intéresser aux répercussions de cette offensive sur la politique intérieure du pays.

Ça faisait longtemps que l’éventualité de cette offensive dans le nord de la Syrie était connue, que le gouvernement la prévoyait. Des bruits avaient même courus avant les élections locales, faisant état d’une offensive avant ces échéances afin de permettre au parti gouvernemental de ne garder les métropoles. Il n’en n’a pas été ainsi, et l’AKP a subi un échec cuisant aux municipales. Il avait donc besoin d’abattre une carte afin de reprendre la main, et la première (et l’unique) idée à laquelle tout le monde pensait était effectivement une opération militaire en Syrie. Ceci est chose faite. Ce n’était pas un secret, le bloc gouvernemental dans son ensemble, l’AKP mais aussi son allié le MHP avaient besoin d’une intervention militaire pouvant les fortifier grâce à l’union nationale qui en découlerait.

Une opération militaire ne garantit pas une victoire politique

Dans un tweet en anglais, Suat Kınıklıoğlu a expliqué ses prévisions : Une offensive limitée avec pour objectif de frapper sévèrement le YPG, suivi d’élections anticipées remportées par un Erdoğan renforcé par la guerre. Ces conjectures sont partagées par de nombreuses personnes ; De plus, Suat travaille beaucoup dans ces domaines stratégiques et sa parole ne peut pas être pris à la légère quand on sait qu’il a déjà été député de l’AKP. Mais personnellement je ne pense pas que cela va se dérouler aussi vite et facilement.  Je ne peux prévoir ni l’envergure ni le déroulé de l’offensive, ce n’est pas mon domaine. Mais concernant l’impact que cette opération militaire aura sur la politique turque, je n’ai pas l’impression qu’elle résoudra la crise à laquelle Erdoğan est confronté. Il est évident que le Président profitera de l’atmosphère nationaliste de l’Union Nationale -union renforcée par le système présidentiel-, mais dans le cas d’élections anticipées, je ne suis pas sûr qu’il obtienne une victoire éclatante. Et d’ailleurs, je pense plutôt l’inverse.

Dans mon enfance, j’ai déjà été témoin d’un exemple similaire. Ma famille étant pro-CHP, j’avais baigné dans les informations concernant l’opération militaire à Chypre décidée par le premier ministre de l’époque Bulent Ecevit, alors dirigeant du CHP. Allié au Parti du Salut National d’Erbakan, il avait lancé l’ « Opération de la Paix » (comme aujourd’hui, le nom retenu incluait « paix ») dans le nord de Chypre. Fort du soutien de l’opinion publique à cette opération militaire, il avait provoqué des élections anticipées : Au final, le CHP a perdu le pouvoir. Même s’il a vu ses voix augmenter ce n’était pas assez pour former un gouvernement. Différentes coalitions du « front nationaliste » ont pris le relais, et pendant très longtemps le CHP n’a pas réussi a revenir en force, jusqu’à la coalition avec le DYP dans les années 90. Même pour cette période, il est difficile de parler d’un retour en force. Et depuis cette parenthèse, le CHP n’a pas réussi a être partenaire principal d’un gouvernement de coalition.

Pourtant tout partait d’un calcul simple : profiter du soutien populaire à l’opération militaire à Chypre, et en déduire que le CHP arrivait à s’adresser aux parties de la population traditionnellement fermées à son discours, et sortir renforcé de ces élections. Mais ce calcul s’est avéré être inexact ;

Les errements de l’opposition

 Aujourd’hui aussi il y’a un calcul, qui intègre une opération militaire drapée d’une cause nationale, au nom de la « lutte contre le terrorisme ». Je pense qu’il existe effectivement un fort soutien populaire à cette intervention, les enquêtes d’opinions devraient bientôt paraître pour confirmer ce soutien (ou disons le comme ça, cette non opposition). Nul besoin d’être un devin pour le prédire. Mais je ne suis pas sûr que ce soutien populaire se traduise en voix en cas d’élections. Même si l’attitude des partis d’opposition (excepté le HDP) a été loin d’être critique, bien au contraire. Ils ont soutenu les critiques d’Ankara concernant le Nord de la Syrie, et la politique menée actuellement, excepté peut-etre quelques détails sur la forme ; Mais au final, le CHP et le Bon parti ont voté en faveur de cette opération militaire. Le Bon Parti l’a fait ouvertement et fièrement, le CHP avec  un peu plus de scrupule. Kilicdaroglu a déclaré voter pour, avec « une douleur intérieure ». Ce faisant, ils ont oté les arguments éventuels du gouvernement consistant à instrumentalisé cette opération militaire contre eux dans une éventuelle élection.

Je ne sais pas pour le Bon Parti, mais concernant le choix du CHP je ne pense pas qu’il ait adopté une stratégie pertinente. C’est justement parce qu’il n’arrive pas à briser le cercle vicieux dans lequel il est enfermé que ce parti n’arrive pas à avancer. Mais ce choix est également structurel à cette organisation. Quand il s’agit des kurdes, le CHP s’est déjà rangé à de nombreuses reprises dans le passé aux cotés de l’Etat et du parti gouvernemental et cette attitude l’emprisonne dans un espace politique très étroit. Ce réflexe est aussi du à l’expérience que le SHP (NDT : le SHP, ancien parti dont est issu le CHP avait fait alliance avec des politiciens Kurdes dans les années 90. Il avait plus tard subi une grave défaite aux elections) a eu. Mais il ne faut pas oublier que le lien tissé par  le parti de centre gauche que fut le SHP à l’époque n’avait jamais été aussi fort que celui que l’AKP a eu durant le « processus de résolution » de la question Kurde. Erdoğan est allé bien plus loin que le SHP de l’époque. Cette posture l’a géné un moment mais au final elle lui a été bénéfique. Et après, les choses ont changé. En conséquence je ne suis pas convaincu qu’un non alignement derrière le parti gouvernemental lorsqu’il s’agit des kurdes fasse systématiquement perdre. Le CHP aurait du garder une certaine distance critique, mais il n’en n’a pas été ainsi et je pense également que sa base électorale était d’accord avec ce choix. Mais le fait de soutenir cette guerre (les représentants du gouvernement la nomment ainsi) entre en grave contradiction avec ce que le CHP est censé incarner en terme d’opposition politique. Il est vrai qu’il n’est pas évident de s’opposer à la guerre, surtout pour les politiques.

Mais il faut se souvenir que ce type d’opposition a déjà existé par le passé. Comme par exemple le 1er Mars 2003, le Parlement Turc s’était opposé à ce que la Turquie participe aux côté des Etats-Unis à l’invasion de l’Irak. Ça avait été un processus difficile que j’avais eu l’occasion d’observer de près (je travaillais à la chaîne NTV). Nous étions une poignée de personnes à dire que ce n’était pas une bonne chose face à des journalistes pro-guerre. On sentait bien que ce qui les motivait le plus était leur croyance à l’issue positive du vote parlementaire ; Ils pensaient que le gouvernement allait faire voter cette guerre. Mais le parlement s’est opposé, presque miraculeusement. Paradoxalement, c’est l’AKP qui a le plus profité de ce refus parlementaire. Alors qu’Erdoğan s’était engagé auprès des Etats-Unis a faire passer ce texte (malgré son interdiction à l’époque de faire de la politique, le premier ministre étant Abdullah Gul), le parlement majoritairement AKP a voté non. Rétrospectivement, je pense que si le parlement avait voté la guerre, le règne de l’AKP n’aurait pas duré plus d’un an.

Un régime au bout du rouleau

Dans le tweet de Suat Kiniklioglu que j’avais mentionné tout à l’heure, il disait aussi « Erdoğan voudra provoquer des élections anticipées pour prendre de court les nouveaux partis politiques d’Ali Babacan et d’Ahmet Davutoglu, issus de l’AKP ». Si à l’époque l’opposition du parlement à la guerre avait maintenu l’unité de l’AKP, je pense qu’aujourd’hui il est conscient que l’offensive militaire n’empêchera pas ces scissions. Il pense peut être tout au plus que cela atténuera les conséquences de ces scissions. Mais il ne faudrait surtout pas oublier qu’avec une personne aussi imprévisible que Donald Trump dans l’équation, cette stratégie pourrait également se retourner contre l’AKP, et donc favoriser les nouveaux partis politiques, surtout celui d’Ali Babacan.

Le jeu politique n’est pas une science exacte, il n’est possible de se dire « si ont fait ça il se passera ça ». Il n’est pas possible d’orienter le comportement des électeurs avec des manœuvres aussi grossières. On l’a bien vu lors des élections municipales du 31 mars et du 23 juin. Beaucoups d’observateurs avaient pensé qu’Erdoğan avait accepté de perdre Ankara, mais qu’il allait se débrouiller pour garder Istanbul. Mais au final on s’est rendu compte que les coups politiques, les actions stratégiques d’Erdoğan n’étaient qu’en fait que des actes désespérés faits dans la précipitation. Je pense qu’aujourd’hui aussi nous sommes face à ce type d’actions. L’opération militaire est utilisée comme ultime carte pour dénouer la crise que traverse le régime. Mais là, les outils employés sont sensibles. L’armée, la guerre ne peuvent pas être des fondements d’une nouvelle politique durable. Lorsqu’on tente de s’y appuyer pour faire de la politique, l’on doit s’attendre à tout types de conséquences imprévues. Car aujourd’hui, la plus grande difficulté que traverse la Turquie est l’économie, et cette offensive ne réglera en rien ce problème. Elle pourra tout au plus faire diversion et imposer d’autres thèmes que celui de la crise économique. L’existence de cette opération militaire pourra aussi être vu comme une tentative de réduire au silence les sujets tels que la démocratisation, les libertés fondamentales et les droits humains. Mais je doute que cette tentative soit fructueuse.parce que la Turquie est entré dans une nouvelle période, et dans cette période il n’est pas possible pour le régime de se renouveler a travers une opération militaire.

La crise politique est profonde et cette guerre pourra tout au plus masquer temporairement les effets visible des difficultés. Mais il est bien trop tôt pour penser que cette opération militaire va rebattre les cartes, qu’Erdoğan va retrouver sa force d’antan et que le MHP sera renforcé. Je pense d’ailleurs tout le contraire : cette opération militaire va amplifier la perte de vitesse du régime et approfondir la crise qu’elle traverse. Car primo, les arguments avancés ne sont pas très crédibles. Deuxio, même si l’on est convaincu par ces arguments, que retenons nous des propositions d’Erdoğan pour sortir la Turquie de la crise ? Rien. Car il n’a plus grand chose à dire. Aucune solution, aucun horizon tracé. Donc oui, cette offensive n’était pas étonnante. Une fois que ça sera terminé, que Trump se sera retiré il y aura peut être une accalmie. Mais passé cela la Turquie se retrouvera une fois de plus face à ses problèmes, a commencer par la crise économique. Et la gouvernance d’Erdoğan n’augure aucun début de sortie de crise. La Turquie va dans la mauvaise direction, et j’espère que tout le monde s’en sortira avec le minimum de dommages, que ce soit la Turquie ou la Syrie. Mais une chose est sûre, cette opération militaire n’empêchera pas la Turquie de continuer sa route dans la nouvelle ère qui s’est ouverte.

Les récentes évolution politiques ont emmené le régime actuel à un point de non retour. La perte qu’Erdoğan subit ne pourra plus être reportée ad vitam æternam.

C’est tout ce que j’avais à dire. Bonne journée !

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