Les opérations contre les Gülenistes (FETÖ) ne vont-elles jamais finir ?

Traduit par Cem Taylan

Rédigé par Jalal Haddad

Forger des acronymes puis désigner des cibles : Une pratique du gülenisme qui se retourne contre elle 

Aujourd’hui, je voudrais parler des opérations de police contre FETÖ. Mais avant de commencer, une précision : le terme « FETÖ » est le terme employé par le gouvernement. Je préfère employer le terme « gülenisme » ou « güleniste ». Mais si j’ai utilisé le terme FETÖ, c’est parce que c’est celui utilisé par les médias et l’opinion publique pour décrire les opérations de police faites contre cette organisation. 

Cette définition de FETÖ comme « organisation terroriste güleniste » était un leg des gülenistes à la Turquie. Afin de donner de l’ampleur aux procès d’Ergenekon, les magistrats gülenistes avaient fait adopter par la justice une décision affirmant qu’ « Ergenekon était une organisation terroriste ». Ils ont forgé l’acronyme « ETÖ » pour nommer cette organisation (organisation terroriste d’Ergenekon). 

Ironie de l’histoire, lorsque plus tard leur alliance avec l’AKP a volé en éclats, l’AKP a rajouté la lettre F à ETÖ pour formuler l’expression FETÖ. Dans quelle mesure cette organisation peut-elle être qualifiée de terroriste ? C’est un long sujet à débattre sur le plan juridique. Or, on peut noter que ces opérations de lutte contre le FETÖ sont sans fin – encore aujourd’hui, environ 200 personnes ont été arrêtées dans le cadre de ces opérations, la grande majorité de ces personnes sont des membres des Forces Armées Turques et si certains avaient été expulsés de l’armée auparavant, d’autres sont des officiers qui étaient en poste. On a donc affaire à un réseau armé qui peut utiliser ses armes pour des actes violents, pour des actes terroristes. C’est ce qu’ils ont essayé de faire lors de la tentative de coup d’État du 15 juillet, mais ils ont échoué. 

Pourquoi ces opérations ne se terminent-elles pas ? 

Une organisation profondément enracinée dans les institutions

Premièrement, ces opérations policières nous montrent à quel point l’organisation s’est ancrée profondément dans les appareils de l’État, notamment dans l’armée. Que ce soit celle faite juste après le coup d’Etat ayant conduit à l’arrestation des officiers putschistes, ou celle nommée « opération Bylock » dirigée par les services de renseignement, ces opérations contre FETÖ ne s’arrêtent toujours pas. Cela montre qu’il s’agit d’une organisation très puissante, une organisation qui se bat pour le mouvement güleniste depuis des années. On parle d’une organisation qui avait pour ambition d’infiltrer l’État depuis sa création. Ainsi, elle a infiltré l’armée depuis le début du mouvement. 

Je voudrais partager une anecdote à ce sujet. Il y a des années, lorsque je travaillais pour le journal Milliyet, j’avais fait une interview avec un officier militaire qui avait été expulsé de l’armée par décret du Haut Conseil Militaire. Membre des forces spéciales, il était affilié à la communauté Menzil liée à la tariqa Naqshbandiyya. Lors de notre interview, il m’avait dit la chose suivante : 

« Nous pratiquions notre religion ouvertement, nous faisions la prière sans discrétion. Nos épouses étaient voilées. Mais les gülenistes pratiquaient la religion secrètement. La plupart de leurs épouses n’étaient pas voilées. Certains buvaient même de l’alcool pour cacher leurs pratiques religieuses. Or, ils ont été expulsé tout de même comme nous ». 

A cette époque, ces paroles m’avaient semblé comme une preuve solide de la gravité de la situation et de la purge contre cette organisation au sein de l’armée. Mais quand on y regarde de plus près, ce ne fût pas vraiment le cas. Parce qu’un grand nombre d’officiers de cette époque ont été promus plus tard jusqu’aux postes de général ou d’amiral jusqu’à ce qu’ils soient expulsées de l’armée, arrêtés et même condamnés dans le cadre des opérations FETÖ. 

Il s’agit donc d’une organisation qui, malgré les nombreuses opérations et le travail intensif des services de renseignement, n’a pas pu être totalement dissoute. Malgré le fait que la lutte contre cette organisation soit la première préoccupation du gouvernement depuis le putsch raté, l’organisation est toujours présente non seulement au sein de l’armée, mais aussi de la police, du ministère de l’intérieur et d’autres appareils étatiques. Cela nous montre à quel point le FETÖ s’est organisé à l’intérieur de l’État pendant des années. 

La stratégie désastreuse de l’Etat ressoude les gülenistes 

Deuxièmement, on s’aperçoit que malgré tous les coups qu’elle a reçue, l’organisation a pu se maintenir dans les positions les plus sensibles de la bureaucratie étatique, tout en continuant à se coordonner. Même si on ignore ce qu’elle fait en pratique, on peut en déduire que les relations organisationnelles continuent toujours. On savait déjà que les membres avaient renoncé à utiliser leur téléphone portable depuis un certain temps, et les autres techniques qu’ils utilisent pour communiquer entre eux – notamment l’utilisation de téléphones publics – sont hautement surveillées par les services de renseignement. Or, la continuité de ces opérations nous montre que le gülenisme poursuit ses actions de manière illégale. Cela entraîne de nombreuses questions: que cherchent à accomplir les gülenistes ? A priori, il n’ont plus d’objectifs majeurs après l’échec du 15 juillet.

Les dirigeants du mouvement qui sont à l’étranger ont également baissé d’un ton. Ils ne se montrent plus autant qu’avant. Dans ce cas là, pourquoi ceux qui se trouvent en Turquie perpétuent-ils leurs relations avec le réseau ? On sait qu’un grand nombre d’entre eux ont fui la Turquie après le 15 juillet. Pourquoi ces dirigeants en Turquie ne préfèrent-ils pas fuir ? On voit par là qu’un grand nombre de personnes est prêt à tout au nom de la survie de l’organisation et du gülenisme en Turquie. Peut-être qu’ils ne voient plus aucun autre avenir pour eux-mêmes.

Il faut ici s’interroger sur les stratégies adoptées par l’État concernant le gülenisme .

A l’heure actuelle, on s’aperçoit que le gouvernement AKP mène une campagne très dure et sans pitié envers le gülenisme- notamment avec les nombreux Décrets-lois Présidentiels. A l’exception de certains que le gouvernement favorise et protège – c’est un sujet important que j’avais mentionné auparavant, on sait que certains gülenistes échappent à ces opérations par des moyens financiers – l’État applique une politique très sévère envers les gülenistes. Cette politique ne se limite pas à faire arrêter ou incarcérer les gülenistes, au-delà de cela le gouvernement transforme leur vie et celle de leurs proches en un véritable cachot. Ces personnes accusées d’être güleniste rencontrent une désaffiliation sociale, la plupart sont licenciées et ne peuvent plus trouver un travail. 

Il y a plusieurs histoires et anecdotes à ce sujet. Ömer Faruk Gergerlioğlu – un député du HDP – mène un travail considérable à ce sujet : il prend note de presque toutes les plaintes et personnes accusées de gülenisme. Quand on regarde ses rapports, de vrais drames et tragédies sont vécus pour certains. Des enfants sont emprisonnés, ainsi que des femmes enceintes. Cette politique dure de l’État reconnaît une certaine clémence uniquement aux repentis. Outre les repentis, l’État cherche à éradiquer et à épurer toute personne affiliée avec le gülenisme et cette politique de répression sans distinctions ne laisse aucun autre choix que de regagner les rangs de l’organisation pour certains. Il faut très sérieusement prendre en considération cette dimension. 

Un groupe d’anciens gülenistes vivant à l’étranger et qui lutte à l’heure actuelle dans une certaine mesure contre cette organisation a initié une pétition. Je ne sais pas ce qu’est devenue cette pétition. Mais dans les revendications adressées à l’État turc figurait un traitement plus égalitaire et juridique des accusés, avec notamment une classification des accusés pour éviter de mettre tout le monde dans le même panier. C’est une revendication juste dans ses grandes lignes. En mettant chacun dans une même catégorie, ceux qui n’ont rien à se reprocher finissent par se retrouver solidaires des vrais coupables. Dans la période qui a suivi le 15 juillet, les gens n’ont pas accordé trop d’importance à cette nécessité de distinguer chaque cas individuellement, mais cette stratégie consistant à mettre en accusation chaque individu, (femmes et enfants inclus) ayant eu le moindre contact avec l’organisation, conduire ces personnes à une exclusion sociale en les traitant de terroriste ouvre de grandes blessures. En conséquence, il me semble que cette attitude sévère du gouvernement ne laisse aucun choix à ces personnes que celui de s’engager à nouveau dans l’organisation, et c’est une des raisons pour lesquelles les opérations ne se terminent pas. 

« FETÖ » l’ultime argument d’un régime à bout de souffle

Une autre raison est que l’État tire profit de la situation, puisque le FETÖ, le gülenisme, sont devenus des arguments fonctionnels qui sont utilisés chaque fois que le gouvernement est dans une impasse.

Mais cela affecte le gouvernement de manière négative parce qu’au bout d’un moment, les identités construites autour du gülenisme, d’Erdogan ou de l’AKP ne comptent plus. Cette guerre contre le gülenisme affecte tout ceux qui s’identifient avec l’Islam d’une certaine manière. 

La perte d’influence du gülenisme n’a pas renforcé l’AKP. Il s’agit d’une guerre qu’ils ont perdu tous les deux. Or pendant que l’AKP mène cette guerre contre le gülenisme, Erdogan tente de reporter ou de masquer sa propre perte de vitesse. 

En fin de compte, cette guerre a montré que ces deux acteurs n’auront plus rien à offrir à la Turquie. Même si certains le pensaient depuis le début, d’autres commencent à le penser depuis un certain temps. Je le répète : même s’il y aura toujours des personnes qui seront très attachées à Fettullah Gülen et prêtes à sacrifier leur vie pour lui, je ne pense pas que le gülenisme puisse redevenir un mouvement puissant en Turquie à l’heure actuelle. 

Les personnes qui se sont écartées de l’organisation représentent une autre dimension à prendre compte ; elles peuvent éventuellement s’affilier à d’autres mouvements islamistes. Peut-être qu’ils pourront essayer de réformer et de réorganiser le gülenisme d’une nouvelle façon. Mais pour l’instant, il est encore trop tôt pour le dire.

D’autre part je pense que le même phénomène se produit du côté de l’Erdoganisme : ces deux mouvements s’affaiblissent et disparaissent ensemble. La disparition du gülenisme s’achève plus rapidement, plus sévèrement et beaucoup plus visiblement par l’intervention de l’État. 

Le déclin de l’AKP et d’Erdogan se réalise moins visiblement. Et je vais le dire et le redire, c’est à cause de l’inefficacité des partis de l’opposition que ce déclin n’est pas aussi visible pour l’opinion publique.

En fin de compte l’AKP et les gülenistes, en collaborant hier et en se faisant la guerre aujourd’hui, ont volé beaucoup de temps et d’énergie à la Turquie, et continuent à en voler. 

Ils connaissent une chute commune. Mais cette chute est accélérée pour les gülenistes, elle est plus claire et nette. Et l’illusion que plus l’AKP frappe le gülenisme, plus il se renforce, convient pour le moment à l’AKP. Mais en fin de compte cette guerre n’aura pas de gagnant, les deux parties sont perdantes. En attendant la Turquie continue à perdre en énergie, cette guerre absorbe une part considérable de l’énergie du pays. Or je pense qu’à long terme, c’est la Turquie qui va sortir gagnante de cette guerre, car elle sera débarrassée de ces deux protagonistes.

. FETÖ est le nom donné à l’organisation issue du mouvement Gülen administré par l’imam Fettullah Gülen. L’organisation est accusée d’être à l’origine du putsch raté du 15 juillet 2016. 

. Ergenekon est le nom donné à un présumé réseau qui chercherait à prendre le pouvoir politique en Turquie. En tout, 300 personnes ont été arrêtées de juin 2007 à novembre 2009, et 194 inculpées dans le procès Ergenekon. 

. La tariqa Naqshbandiyya est l’une des quatre principales confréries soufies. La communauté Menzil est une communauté liée à la tariqa Naqshbandiyya et reste la communauté la plus influente parmi les différentes communautés islamistes en Turquie. 

. KHK (Kanun hükmünde kararname) est le nom donné aux décrets initiés par le pouvoir exécutif et qui sont équivalents à une loi organique parlementaire. Ils ne peuvent être promulgués que si un état d’urgence ou une loi martiale était déclaré.

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