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Le bilan des trois années après le putsch raté du 15 juillet

Traduit par Cem Taylan

Rédaction: Jalal Haddad

Aujourd’hui c’est le 3ème anniversaire du putsch raté du 15 juillet. Beaucoup de choses ont changé durant ces 3 années, ce fut une période très difficile. A l’heure actuelle le climat répressif s’est  légèrement atténué mais le 15 juillet n’a pas cessé de marquer les esprits durant ces 3 ans, et il me semble que cela va continuer pendant un certain temps. Il est difficile de faire un bilan du 15 juillet puisqu’il y a plusieurs dimensions à considérer, mais je veux déjà faire une évaluation rapide. Comparé aux autres événements majeurs que j’ai déjà traité à maintes reprises au cours de ces 3 dernieres années, il apparaît que c’est un des plus grands maux qui a été fait à la République turque. Est-ce que c’est le plus grand ? C’est à voir, parce que la Turquie est un pays qui a vécu plusieurs coups d’Etat comme le 12 septembre 1980 , le 12 mars 1971 ou le 27 mai 1960. 

Le traumatisme du 15 Juillet

Le 15 juillet peut être considéré comme la plus grande débacle d’une tentative de coup d’Etat, et même s’il y en a eu d’autres, celui-ci se démarque par son ampleur, causant énormement de dommages dans son sillage.

Malgré l’adage turc disant que « du malheur naît le bonheur », les dégâts du 15 juillet ont été d’une telle ampleur qu’il n’y a pas eu d’effet positif sur la Turquie. Les torts que le pays a connu à cause du réseau guleniste sont très importants. Suite à cette tentative de coup d’Etat, le gouvernement aurait pu utiliser ce moment d’unité nationale afin de construire un régime plus démocratique, avec une séparation des pouvoirs plus nette. Avec cette démarche, la Turquie aurait été un pays plus démocratique et plus avancé en matière des droits de l’homme, mais c’est le phénomène inverse qui s’est produit: on a observé un durcissement du régime, une répression très violente des libertés fondamentales et une rupture avec la démocratie et les droits de l’homme. La Turquie a cessé d’être un État de droit et le gouvernement a adopté un discours très autoritaire.

De nombreuses personnes -dont moi- avaient souligné dès le premier jour la question suivante: est-ce que la Turquie allait s’améliorer suite à cette tentative de coup d’Etat avortée, prenant conscience de ses expériences, ou bien allait-elle basculer vers l’autoritarisme ? 

Au final, le 15 juillet a été utilisé comme prétexte à une rupture avec l’Etat de droit et les libertés fondamentales. De plus, l’Etat d’urgence a été prolongé le plus tard possible. Un grand nombre de mesures très violentes ont été prises, et un nouveau système politique a été adopté dans cette atmosphère terrifiante. Nous avons maintenant un régime présidentiel, or nous constatons aujourd’hui que ce nouveau système ne fonctionne plus correctement. Au bout d’un an, on observe déja que ce système est en crise. 

Pourquoi ça a mal tourné ? Il faut se pencher sur ce qui s’est passé un peu plus tôt: à peu près un an avant la tentative de coup d’Etat du 15 juillet, la Turquie a vécu une élection importante. Lors des élections législatives du 7 juin 2015, l’AKP a perdu la majorité parlementaire nécessaire pour former un gouvernement sans alliés. Cela signifiait qu’Erdogan ne pouvait plus diriger le pays tout seul. Or Erdogan n’a pas reconnu ces résultats et a obtenu le renouellement des élections le 1er novembre 2015 et l’AKP est arrivée encore une fois au pouvoir en Turquie. Le pays a tout de même traversé une période très tendue entre ces deux élections, avec de nombreux attentats et différentes menaces. Cela étant dit, les élections du 7 juin nous ont montré que le régime d’Erdogan était en pleine crise politique et idéologique, de ce fait la tentative de coup d’Etat du 15 juillet fut le gilet de sauvetage d’Erdogan et de l’AKP. 

Il a comblé ce vide idéologique par un virulent discours anti-guleniste. Or on a observé que cela ne suffisait pas à le sauver. La crise qu’il traverse est d’une telle ampleur que même le discours adopté après le 15 juillet n’est plus fonctionnel.

Une répression aveugle, injuste et sélective

Finalement, ce coup d’Etat organisé par le réseau guleniste a prolongé le mandat d’Erdogan et de l’AKP d’environ 3 ans, et alors qu’aujourd’hui le pays pourchasse le réseau guleniste à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, il se reconstruit à partir de la nouvelle donne issue des élections du 23 Juin 2019, similaire à celle du 7 juin 2015. Si on s’intéresse à la dimension guleniste de la tentative de coup d’Etat, on observe que le réseau s’est lourdement affaibli en Turquie. En revanche, des coups de filets continuent au sein de l’armée, de la police et des appareils étatiques, ce qui signifie que le réseau n’est pas totalement éradiqué à l’heure actuelle. Des milliers de personnes ont été emprisonnées et licenciées, accusées de faire partie de ce réseau. 

Les personnes licenciées n’ont peut être pas connu une perte de liberté totale, mais ils ont été déclarées guleniste, suffisant pour être mises au ban de la société.

De plus, toute personne ayant des liens avec des personnes accusées d’être guleniste subissent également le même sort, elles sont licenciées. Néanmoins on sait que certaines personnes bénéficient d’une relative immunité. Par exemple, Şaban Dişli a été nommé ambassadeur alors que son frère est l’un des organisateurs du coup d’État. Le problème ici n’est pas que le frère d’un putschiste bénéficie d’une promotion, mais que cette individualité de peine ne s’applique qu’à certaines personnes. Car en général, si une personne est reconnue coupable de gulenisme, toute la famille en pâtit. Un exemple similaire est celui du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Bekir Pakdemirli: Son frère, accusé d’être guleniste, est en prison (peut-être qu’il est sorti mais on sait qu’il a fait de la prison). Je ne vois pas de soucis au fait qu’il soit nommé ministre, mais beaucoup de personnes, surtout en Anatolie, sont licenciées en raison de leurs liens familiaux ou amicaux avec des accusés. 

D’un côté les gulenistes ont organisé l’exfiltration des membres les plus qualifié avant, pendant et après le coup d’État ; ces personnes sont installés en Europe, aux États-Unis et dans d’autres pays où ils continuent paisiblement leur existence, à l’abri des sanctions turques. Et d’un autre côté, ceux qui n’ont pas pu fuir vivent en Turquie dans des conditions impitoyables : Certains ont tenté de fuir grâce à leurs propres ressources, quelques-uns y sont parvenus tandis que d’autres sont morts noyés dans la mer Egée, des familles entières sont mortes, on le sait. Ces événements tragiques doivent également être inscrit au passif du réseau guléniste.

De plus, l’État Turc tente de prendre le contrôle des écoles gulenistes à l’étranger à travers la fondation Maarif. Il a pu convaincre certains États, mais pas tous. On sait très bien que la Turquie prend des mesures importantes pour empêcher l’expension du réseau guleniste à l’étranger en Asie, en Afrique et en Amérique Latine. Le président Erdogan s’occupe personnellement de ces questions. On sait également que des gulenistes sont arrêtés à l’étranger et livrés à l’État turc, ce qui ne serait pas possible sans une collaboration entre la Turquie et ces États étrangers. 

On entend parler de disparitions dans le cadre de la lutte avec le réseau guleniste et on sait que ces disparitions ont été mentionnées par les « mères du samedi » (un groupe de mères dont les enfants ont été arretés puis « égarés » par la police durant les années 90 lors de la guerre contre le PKK, et qui continue de se retrouver chaque samedi sur la place Taksim pour les réclamer). Cela signifie clairement que le gouvernement utilise le gulenisme comme prétexte pour emprisonner des personnes ne faisant pas forcément partie du réseau. Un grand nombre de personnes ont été licenciées, de nombreux organes médiatiques ont été fermés par ordre du gouvernement. Si une partie appartenait effectivement à la galaxie guleniste, il n’en demeure pas moins qu’une part considérable de ces personnes et institutions n’avait rien à voir avec le gulenisme : Par exemple des médias kurdes ont été fermés, de nombreux kurdes et militants de gauche ont été licenciés et emprisonnés. On a vu le gouvernement exercer une pression sans relache sur ses opposants dans le cadre du putsch raté et de la lutte contre le gulenisme. De plus, dans leur propagande à l’étranger, le réseau guleniste a mis en avant les injustices commises à l’égard de ceux qui n’appartenaient pas au mouvement. Un des exemples parmi tant d’autres est la répression subie par les « académiciens de la paix » qui ont attiré les foudres du président Erdogan.

 Une occasion ratée

Finalement, on ne peut que constater que la Turquie a perdu trois ans à cause de cette tentative de coup d’État. Ce fut certes un événement tragique, mais si la Turquie avait mis à profit cette expérience, elle aurait pu s’améliorer en terme de Droits de l’Homme mais on a observé au contraire un basculement vers l’autoritarisme. Il est clair que si le coup d’Etat n’avait pas échoué, la situation aurait était bien plus grave mais il n’est pas question de légitimer les abus de liberté et les répressions à partir de ce postulat. 3 ans se sont écoulés, et on a vu lors des élections du 31 mars et du 23 juin que le gouvernement a perdu sa capacité à mobiliser un électorat sur un discours anti-guleniste. Ce soir un grand dîner est organisé, ainsi qu’un grande réunion publique dans l’ancien aéroport Atatürk. Même si toutes les grandes chaînes de télévision vont retransmettre ces événements, il est clair que la célébration du 15 juillet n’a plus la même ampleur. 

Une réunion publique avait été organisé à Yenikapi après le putsch raté. Ce fut une grande erreur que le HDP n’y soit pas invité. C’est à partir de ce moment-là qu’il est apparu clairement que le but n’était pas d’unir la nation contre les putschistes au nom de la démocratie. Mais malgré cette évidence, le leader du CHP Kemal Kilicdaroglu y a participé. Or Kilicdaroglu a été très vite diabolisé par le gouvernement et on a vu que Kilicdaroglu a adopté un discours parfois critique à propos du 15 juillet. 

Le putsch raté a été intrumentalisé par le gouvernement pour polariser la société afin de se consolider plutôt que d’unir la nation face à un ennemi commun. On constate que la reprobation populaire envers le putsch raté est en déclin au fur et à mesure que les horreurs commises durant ces 3 années apparaît. C’est la triste vérité mais c’est comme ça, parce que les prétextes du 15 juillet, du gulenisme sont utilisés à tort et à travers pour accuser des personnes dont le discours ne convient pas au gouvernement. Des ex-gulenistes notoires se sont servis du soutien du gouvernement afin d’envoyer des opposants derrière les barreaux. Une autre injustice est que le gouvernement a enfermé des opposants politiques en ordonnant aux appareils juridiques de lancer des enquêtes dans le cadre du 15 juillet. Si tous les secteurs (économie, sport, médias, fonction publique etc..) ont été scrutés avec attention pour y déceler les gulenistes, un domaine et pas des moindre y a échappé : les partis politiques. Au Parlement, toutes les propositions de l’opposition demandant la création d’une commission d’enquete sur « le bras politique du gulenisme »  ont été rejetées par le parti gouvernemental et ses alliés. 

Si les mêmes critères appliquées à la société civile étaient appliquées aux hommes politiques – par exemple être abonné auparavant au journal Zaman (journal fermé pour collaboration avec le réseau guleniste), avoir un compte à la Banque Asya (banque déclarée guleniste), avoir une photo avec Fettullah Gülen ou bien avoir loué publiquement le réseau guleniste et Fettullah Gülen dans le passé- le gouvernement et une grande partie des hommes politiques, ministres et députés auraient été sur le banc des accusés. J’ai une astuce, qui continue de se vérifier jours après jours: celui qui s’agite, qui se met en colère tel un taureau devant une cape rouge à propos du gulenisme a forcément un passé avec le réseau, les exemples sont très nombreux et cette formule est toujours applicable à l’heure actuelle. Il arrive très très fréquemment, que les pourfendeurs les plus zélés du gulenisme voient leurs anciens tweets louant gulen déterrés. J’ai une anecdote à propos de cela: quand les écoles gulenistes ont été fermées par le gouvernement pour la première fois j’étais éditorialiste au journal Vatan et j’avais écrit que cet événement marquait le début d’une guerre entre le gouvernement et le réseau guleniste. Les deux côtés m’avaient alors reproché de vouloir introduire de la discorde dans leur relation. Les mêmes personnes qui m’avaient reproché cela m’ont reproché plus tard que je n’avais pas assez lutté contre le gulenisme et m’ont même accusé d’être guleniste. Ça peut paraître cocasse mais ces personnes peuvent toujours avoir leur place dans le camp gouvernemental sous prétexte de lutte contre le gulenisme. 

Tout cela me pousse à conclure que la Turquie n’a pas pu mener à bien le règlement de compte politique et judiciaire avec le gulenisme et que pour ce faire, des conditions libres et démocratiques sont indispensables. Mais je pense qu’avec la période de démocratisation que la Turquie va sans doute connaître, la Justice sera en mesure de pouvoir juger sereinement toutes les personnes ayant soutenu ce réseau, ce coup d’État d’une manière ou d’une autre.

C’est tout ce que j’avais à dire, bonne journée. 

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