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Turquie: Les enfants des familles pieuses à la quête de sens

Traduit par Nurcan Kılınç

Bonjour bonne journée. Aujourd’hui, nous avons discuté avec le théologien professeur Mustafa Öztürk. Il était déjà venu dans les studios de Medyascope, cette fois, nous l’avons fait à distance, depuis nos maisons. Ce fut à nouveau une bonne discussion. Mustafa Öztürk est un théologien très unique et courageux. Nous avons évoqué des sujets sensibles, et Mustafa Öztürk va évidemment déranger beaucoup de monde, je ne serai pas du tout surpris. Mais je pense que les opinions qu’il exprime seront bénéfiques aux débats qui sont restreintes en Turquie. J’ai essayé d’expliquer une chose lorsque j’ai posé une question sur les LGBTI, mais il se peut que je n’ai été assez clair, je souhaite l’approfondir. 

En fait, c’est une émission que je souhaitais faire depuis bien longtemps. Après le débat que nous avons eu, j’en ai déduit qu’il était temps de le faire. C’est à partir des différentes émissions que j’ai réalisées – y compris celles sur le déisme et l’athéisme – les observations qui ont été faites relèvent qu’en Turquie les enfants des familles conservatrices – généralement les jeunes, mais surtout les enfants issus de familles conservatrices – se remettent en question. Il y a des informations, des plaintes à ce sujet.

D’où proviennent les plaintes ? De l’état, des éducateurs – pour être plus précis ne disons éducateurs, mais des personnes concernées au sommet des établissements et notamment celles concernées par l’enseignement religieux – ressentent un malaise. Des plaintes, des rapports, etc soulignent que les jeunes se remettent trop en question [sur les questions religieuses] et sont enclins vers le déisme voire l’athéisme. Et j’ai partagé mes observations sur ce sujet. S’agissant d’une question mouvante, le débat ne semble pas prendre fin prochainement. Et je peux dire qu’un court e-mail que j’ai reçu récemment m’a éclairé à ce sujet.

Un ami qui se dit appartenir à ces milieux – un homme, dont je ne dirais pas le nom, qui d’ailleurs pourrait être faux – dit : “Bien que les traumatismes que nous avons vécus et vivons, en tant que société, accroissent l’hypnose des adultes, certains enfants de familles conservatrices s’interrogent sérieusement. Je souhaite dire qu’ayant grandi dans ces quartiers, j’ai été témoin à bon nombre d’entre eux. Bien que cela soit nommé déisme, il s’agit en réalité d’une sorte de nihilisme, appelons-le “néant”. Un de ces jeunes a exactement dit à sa famille : “Je ne crois en aucun de ces stéréotypes qui vous a été appris. Je ne pense pas que vos pensées produiront du bien pour la société. C’est un peu une situation de “laisser ça en désordre” “.

Ce qui est dit ici, les témoignages sont importants. Certains peuvent dire qu’on ne peut faire une généralité à partir d’un seul e-mail. Ce n’est en fait qu’un dernier exemple, parce que j’ai une impression basée sur les différents témoignages et discussions que j’ai pu avoir eu à différents moments. Certains d’entre eux sont des personnes que je connais de très près, issues de mouvement islamique – avec qui notre amitié continue. Ce sont des personnes impliquées, dans les années 1980, au sein des mouvements islamiques en Turquie, et qui à l’époque étaient des jeunes universitaires. Dans nos échanges, beaucoup déclarent que leurs enfants – qui vont à l’université ou qui sont un peu plus âgés – ne sont pas comme eux. Il y a bien sûr ceux qui suivent la trajectoire de leur famille, peut-être qu’ils sont majoritaires, il n’y a rien de surprenant là-dedans. Mais l’essentiel est que ce sont les personnes interrogatrices, contestataires et curieuses – quel que soit leur nombre – qui sont les véritables porteurs de changement.

Pour donner un exemple de moi-même : dans les années 1970, durant nos études au lycée de Galatasaray, nous étions des gauchistes. Et beaucoup de nos amis se sont joints au sein des différents groupes de la gauche. Parmi eux, le nombre d’enfants issus de la classe ouvrière était très faible – très peu. À part eux, la majeure partie était les enfants issus de la classe moyenne, peut-être de la classe moyenne inférieure, de la classe moyenne et de la classe moyenne supérieure. À cette époque, il y avait une très large frange au sein de la gauche, définie comme “les enfants bourgeois” ou “les enfants de la petite-bourgeoisie” – ils étudiaient dans les universités, les lycées … L’implication dans le mouvement de gauche d’une partie très importante d’entre eux, dont la famille avait les moyens, et n’avait de problème avec le système, était une sorte de contestation, une objection de ce statu quo.

Puis, dans les années 1980, j’ai observé que l’objection à ce statu quo était davantage dans le mouvement islamique. D’une façon, les islamistes ont pris la place de la gauche défaite au début des années 1980 – et cela pas uniquement en Turquie, mais dans le monde. Mais ce que j’ai pu observer en tant que journaliste, est que les jeunes du mouvement islamiste des années 1980, des milieux des années 1980 et aux débuts des années 1990, auraient été probablement gauchistes s’ils avaient vécu dans les années 1970. Donc, il y a en fait une continuité, mais le milieu dans lequel la continuité s’exprime diffère. Mais l’essentiel de tout cela est de se plaindre de la situation actuelle. Les jeunes qui pensent que des choses ne vont pas bien, que des inégalités, des injustices et l’exploitation existent au sein de la société, peuvent vivre une rupture et exprimer une objection malgré leur famille. 

Les années 1980 sont en fait en Turquie le moment où la classe moyenne conservatrice est passée progressivement au centre. C’est un processus qui venait du passé, depuis le Parti du salut national (Millî Selamet Partisi), mais qui s’est en quelque sorte accéléré avec le Parti de la justice (Adalet Partisi) et plus tard le Parti de la mère-patrie (Anavatan Partisi, abrégé initialement en ANAP). Mais avec les difficultés de ce processus, de nombreux jeunes ont adopté une position contre l’ordre établi et anti-système. Et puis, d’une manière importante, ils ont contribué au pouvoir de l’AKP- sciemment ou inconsciemment – avec une participation active ou un soutien indirect. Et la plupart d’entre eux ont en quelque sorte bénéficié et continuent à bénéficier de cette nouvelle structure du pouvoir.

Il y a ceux qui agissent activement : les députés, les ministres et les cadres supérieurs, ou ceux qui travaillent beaucoup avec l’état, qui créent leur propre entreprise, deviennent des travailleurs indépendants ou des commerçants industriels et ont une relation avec l’état. Pendant ce temps, une nouvelle classe moyenne – ou plutôt renouvelée – voire moyenne supérieure conservatrice s’est structurée avec des opportunités nouvelles, une puissance croissante, un statut économique meilleur et offrant de meilleures opportunités à ses enfants. Et leurs enfants, dans cet environnement aux possibilités étendues, certains sont très satisfaits et préfèrent vivre leur vie de la meilleure façon, tandis que d’autres ont commencé à dire : “Quelque chose ne va pas”. Dérangé par les positions de sa famille car l’interprétation de l’islam, qui lui était transmise par sa famille, est en fait une interprétation islamique qui privilégie l’obéissance à l’état, une interprétation islamique qui met l’accent sur le statu quo plutôt que sur le changement. Et je vois qu’il y a une interrogation des jeunes en ce sens.

Il n’y a pas que cela, ces jeunes sont nés en pleine mondialisation, sont des enfants de la mondialisation. Ce sont des personnes qui peuvent désormais accéder instantanément aux informations et à tout. Je me souviens dans les années 80, cela existait aussi. Mais même en l’absence d’internet, et de technologies similaires, la curiosité des enfants de familles conservatrices n’a pas cessé et les chefs de famille faisaient de leur mieux pour surmonter ou freiner cette curiosité. Par exemple j’ai un souvenir : à ces dates, avant l’accès généralisé à l’internet, des services étaient rendus via le numéro “Alo Bilgi” – application que fondera l’Université Bilgi. Ces services sont les premiers exemples d’internet, par téléphone. Je le sais très bien, un intellectuel d’une frange islamique, connu pour ses opinions anti-société de consommation était très dérangé par la relation que ses enfants entretenaient avec ces lignes téléphoniques “Alo Bilgi” – il en a pris compte parce que cela se reflétait sur les factures. 

Ou une autre personne – l’époque Netflix ou la télévision par le câble n’existait pas encore, l’accès à l’internet n’était pas rependu, mais il y avait un bon nombre de chaînes à la télévision. Et parfois des images obscènes etc. étaient diffusées sur certaines chaînes de téléviseurs – cela pouvait déranger une famille conservatrice. Un de mes amis, je n’oublie jamais – un ami qui était très mal à l’aise avec cela – a dit qu’il avait trouvé une solution comme celle-ci : “J’ai le contrôle de la télécommande à la maison. Dès qu’une chose se produit, je le change immédiatement [la chaine]”. Je lui ai dit en plaisantant : “Eh bien, mais comment savez-vous ce qu’il y a sur chaque chaîne ? Une chose peut arriver à tout moment”. Il m’avait répondu, je ne l’oublie jamais – j’ai oublié la chaine, mais TRT [Radio-télévision de Turquie] avait une chaîne documentaire à ce moment-là – il avait dit que c’était la chaîne la plus sûre et qu’il s’y rendait en cas d’urgence.

Beaucoup de choses ont changé depuis lors, cependant, la curiosité, le questionnement, l’objection des enfants et des jeunes et l’inconfort des familles n’ont pas changé du tout. Nous vivons maintenant dans un environnement mondialisé, lorsque l’enfant, qui demande une chose à sa famille, et qu’il n’est pas satisfait de la réponse qu’il reçoit, il peut aller sur Google et taper sa question et trouver plus d’une réponse alternative. Par conséquent, il a déjà été difficile pour les familles conservatrices, en particulier celles qui ont atteint un certain niveau – économiquement, socialement – d’élever leurs enfants comme elles le souhaitent et de leur faire accepter une certaine compréhension islamique conforme statu quo. Je pense que cela devient impossible aujourd’hui.

Et, bien sûr, le fait qu’un parti et un leader aux prétentions islamique soient au pouvoir rend parfois les choses plus faciles, mais dans de nombreux cas, cela le rend difficile. Parce que si les jeunes sont satisfaits de la Turquie, pensent qu’il y a une égalité, une justice en Turquie, quand ils regardent autour d’eux, lorsqu’ils parlent avec d’autres amis ils entendent une histoire heureuse, bien sûr qu’ils voudront conserver cet état et ce pouvoir. Les plaintes et les objections de leur entourage et qu’ils ont pu observer eux-mêmes les poussent à s’interroger. Et lorsque les revendications islamistes du parti au pouvoir s’ajoutent à cela, il y a naturellement des questionnements religieux. C’est une réalité. Ça ne veut pas dire que cela se conclut par un déisme, ou athéisme – nous savons que de tels événements se produisent –  mais la probabilité d’un nihilisme comme celui évoqué dans l’e-mail que j’ai mentionné au début est fort élevé.

Maintenant, si nous regardons la déclaration faite par le président des Affaires religieuses, Ali Erbaş, au sujet des personnes LGBTI et du soutien qui lui a été apporté par les plus hautes sphères de l’état, cela peut avoir un sens pour des jeunes d’une certaine frange de la population, mais encore plus pour les jeunes qui étudient dans les universités, dans les grandes villes, qui passent des heures chaque jour devant les écrans et sur le smartphone, ne regardent la télévision mais plutôt YouTube, ou qui suivent d’autres plateformes. Nous savons, les personnes LGBTI se sont déclarées explicitement et sont devenues plus visibles ces dernières années en raison de toute cette mondialisation, s’organisent au sein des universités et dans de nombreux milieux. Nous savons qu’ils ne cachent plus leur identité, et affichent en toute fierté leurs positions et leur orientation sexuelle, et partagent des lieux communs avec des enfants de familles conservatrices. Alors bien sûr, il y a ceux qui sont mal à l’aise avec cela, mais dans une large mesure, il y a des enfants et des jeunes qui le considèrent naturel et ne sont dérangés en aucune façon. Considérez-les comme suit : les familles conservatrices d’une certaine situation économique envoient leurs enfants étudier à l’étranger. Il s’agit d’une chose valable pour de nombreuses familles – comme la famille Erdoğan. Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada sont les premiers pays qui me viennent à l’esprit et il n’y a de problème LGBTI dans ces pays. Il y a certainement des débats en cours, mais elles (les personnes LGBTI) sont devenues un courant dominant dans ces pays, sur ces campus. Personne ne les considère comme contraires, pervertis ou quelque chose du genre, ceux qui les considèrent comme tels sont exclus. Lorsque vous donnez des arguments à ces jeunes, ayant grandi dans ces environnements, qui sont ouverts au monde, afin de marginaliser ceux qui sont différents, bien sûr que certains l’accepteront, mais le nombre de ceux qui ne seront pas d’accord n’est pas à prendre à la légère. Et il ne faut pas oublier que ceux qui n’acceptent pas ont plus de pouvoir, de position sociale et de déterminisme dans leur environnement.

Les sociétés progressent toujours, dans tous les pays, avec des gens aussi curieux, et qui questionnent. Les personnes qui ne s’y opposent ou ne posent de questions peuvent sembler constituer la majorité, mais on voit que les sociétés avancent pas à pas via les interrogations des personnes qui remettent en cause. Par conséquent, pour le moment, la force émanant de l’état ou des affaires religieuses, d’une secte ou d’une confrérie, peut bien sûr sembler être le principal déterminant de la question LGBTI ou de toute autre question. Mais en réalité ce n’est pas du tout le cas. Au contraire, malgré toutes ces revendications de domination, les personnes qui se questionnent, même si elles sont peu nombreuses – je ne pense pas qu’elles soient trop peu nombreuses – innovent toujours.

C’est ce qui se produit en ce moment, l’état et la présidence des affaires religieuses ramaient à contre-courant. Ces jeunes, les jeunes qui s’interrogent, peuvent devenir un statu quo dans le temps, mais leur interrogation actuelle – tantôt explicite, tantôt implicite, tantôt silencieuse, tantôt bruyante – changera pas mal de choses pas à pas. Nous en avons vu le premier exemple lors de Gezi. Même s’il était timide, les enfants de familles conservatrices étaient présents lors de Gezi et c’était très précieux – cela donnait plus de sens au mouvement Gezi. Et cela a également amplifié la haine du gouvernement envers le mouvement Gezi.

Je pense qu’il y avait là-bas une dynamique très importante qui s’y manifestait – cela n’apparait parce qu’il n’y a pas de mouvements sociaux aussi importants en ce moment – car la quête de sens chez les jeunes ne prend jamais fin. Cette quête continue peu importe votre volonté de vous imposer et les opportunités satisfaisantes que vous leur offrez. Parce que, après tout, vous n’avez pas réussi à établir une société égalitaire. Actuellement, en Turquie, le système est une copie de l’ancien, ce qui était contesté dans le temps par les islamistes, voire bien plus, est mis en oeuvre par l’état. Par conséquent, il est inévitable que les objections soulevées par les jeunes de l’époque, avec une rhétorique islamiste soient exprimées différemment aujourd’hui. Je pense ainsi. Oui, c’est tout ce que j’ai à dire. Bonne journée. 

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